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“la chronique de Marc Lazareff”
Photographie : Films "classiques"

Paris, le 9 février 2015

 

À l'invention du procédé photographique par Daguerre (daguérréotype, 1839), Talbot (talbotype, breveté en 1841) et d'autres, la perfection technique n'était pas encore la préoccupation essentielle: la magie de l'image suffisait bien. Je ne veux pas dire par là que des améliorations - qui n'ont pas tardé - n'étaient pas utiles. L'invention de la pellicule souple (George Eastman, 1888) a projeté la photographie dans le domaine du commun, avec le chargement en plein jour (le même, c. 1900) comme dernière étape majeure. À ce moment, on peut arguer que le principal obstacle à l'obtention d'un cliché mémorable/satisfaisant/artistique (?!) est devenu non la contrainte technique mais le talent, l'inspiration, l'imagination, la chance de l'opérateur.

Les optiques ont été perfectionnées, les diaphragmes et les obturateurs sont devenus plus précis, associés à une mesure fiable de la lumière, annonçant l'ère de la couleur pour les masses (Kodachrome 1935-36, Agfacolor, 1936). Un procédé bien plus ancien (autochrome Lumière, 1903) a été utilisé à grande échelle de (1907-1932), en particulier par les opérateurs du banquier Albert Kahn pour fixer l'état du monde, avec des résultats magnifiques mais sans la commodité d'utilisation de la pellicule souple.

L'apparition des émulsions couleur utilisables à main levée a marqué l'entrée de la photographie dans le réel, et même dans le quotidien. Comme cela a été le cas pour tous les supports d'expression, le progrès technique n'a pas conduit à la disparition complète des itérations précédentes. Un exemple récent est le support CD-audio, qui est en train de s'effacer au profit des fichiers dématérialisés, en même temps que le vénérable 33 tours vinyle reprend (pour des raisons variées) une vigueur inattendue.

Le dernier progrès technique majeur en matière photographique est le procédé numérique (capteur CCD, 1969, appareil complet Steve Sasson, 1975, ignoré par Kodak). Cela ne veut pas dire que les techniques plus anciennes ont complètement disparu. Grâce à Internet, de petits fabricants peuvent continuer à commercialiser des émulsions techniquement dépassées mais favorablement appréciées et discutées sur les forums en ligne. On peut trouver en http://www.apug.org/forums/forum390/135071-hello-apug-film-ferrania.html le début d'un long fil de discussion sur la renaissance sous le nom "FILM Ferrania" d'une marque presque disparue, à partir de son laboratoire de recherches et grâce au financement participatif. D'autres marques anciennes survivent, vivotent ou disparaissent, mais la supplantation technique ne signifie pas la disparition complète d'un procédé. Agfa a disparu, Kodak aussi, mais en monochrome Ilford est bien vivant, Silvermax est né et Fomapan survit.

Pourquoi donc, alors qu'il est "si facile" de transformer en monochrome une image numérique ? Tout d'abord, ce n'est pas si facile: le capteur numérique standard (à matrice de Bayer) n'est pas bien adapté à la restitution des images typiques du photographe passionné d'images monochromes ("noir et blanc"); et la manipulation numérique ne donne pas facilement des résultats heureux. Jusqu'à un défaut technique qui est en fait un allié du photographe: le grain ! Une image numérique fortement agrandie prend un aspect "plastique" qui ne compense pas la finesse des détails et la justesse des couleurs. C'est sans doute pourquoi les fichiers de grain "numérique" se vendent bien.

La vénérable pellicule Kodak Tri-X Pan (1954) était affectée d'un grain disons, précis, particulièrement remarquable avec des révélateurs préservant le grain comme le classique Rodinal (Agfa, 1891). En 2007, elle a été remplacée par la plus moderne 400TX, au grain plus fin, sans que cela plaise à tout le monde.

Les pellicules ex-tchèques Fomapan ont une technologie ancienne, avec une émulsion épaisse et une réponse spectrale étendue dans le rouge. Les images produites sont différentes du standard des émulsions modernes, on aime ou pas.

Finalement, la maîtrise reste au photographe.