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“Frapper le fer” L’art des forgerons africains
au musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris

du 19 novembre 2019 au 29 mars 2020



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 18 novembre 2019.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Hache d'apparat. Ethnie : Songye, Continent : Afrique, Pays : Congo, république démocratique, 19e siècle - début du 20e siècle. Bois, cuivre, fer, 37,8 × 26,6 × 4 cm, Hauteur : 38 cm. N° inventaire : 71.1948.15.39 D. Légende : Hache d'apparat, en fer, bois et cuivre : lame en fer ajouré de motifs géométriques, manche en bois recouvert de feuilles de cuivre incisées. Usage de l'objet : Fer en biseau, ajouré, orné de motifs géométriques incrusté en cuivre. Manche courbe recouvert de feuilles de cuivre décorées. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.
2/  Artiste inconnu, Lamellophone (chisanji), Fin du 19e siècle. Bois, fer, L. 19,10 cm, W. 10,20 cm, D. 6,40 cm. Légende : Population tshokwe, République démocratique du Congo. The Cleveland Museum of Art, The Harold T. Clark Educational Extension Fund, 1915.495. © courtesy the Cleveland Museum of Art.
3/  Objet cultuel composite. Ethnie : Bamana, Pays : Mali, Continent : Afrique, 20e siècle. Sang animal coagulé, bois, cire, terre, fibre végétale, matériaux organiques, 34 x 18 x 41 cm. N° inventaire : 70.2012.4.1. Pièce de bois recouverte de matériaux organiques et de sang animal coagulé de teinte beige. Les quatre tiges inférieures surmontées de la masse composite à une bosse évoque la forme d'un quadrupède. Usage de l'objet : Objet conservé dans le sanctuaire lié à la société d'initiation masculine du Kono. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.

 


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Interview de Henry John Drewal, professeur Evjue-Bascom d’histoire de l’art et d’études afro-américaines
à l’université du Wisconsin, Madison, et membre du comité scientifique de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 novembre 2019, durée 8'18". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire principal :
Tom Joyce, commissaire, sculpteur, artiste lauréat du Prix MacArthur

Comité scientifique : Allen F. Roberts, professeur des Arts et Cultures / Danse du monde à UCLA, Los Angeles
Marla C. Berns, Shirley & Ralph Shapiro Director, Fowler Museum, Los Angeles
William J. Dewey, professeur associé d’histoire de l’art africain à l’université d’État de Pennsylvanie
Henry John Drewal, professeur Evjue-Bascom d’histoire de l’art et d’études afro-américaines à l’université du Wisconsin, Madison




À travers près de 230 oeuvres exceptionnelles, l’exposition dévoile la force évocatrice de l’une des traditions de fer forgé les plus sophistiquées au monde. Panorama inédit des créations de ces maîtres du feu depuis plus de 2 500 ans.

Peu d’endroits dans le monde ont un rapport aussi puissant avec le fer que l’Afrique subsaharienne. Depuis plus de deux millénaires, le travail de l’un des matériaux les plus fondamentaux de la planète a révolutionné le continent et façonné en profondeur ses communautés et cultures, des champs aux foyers, des terrains de bataille aux lieux religieux. Sous le marteau du forgeron africain, maître du feu et virtuose de la transformation, le métal a été fondu, forgé, martelé puis métamorphosé en objets, et parfois investi d’un pouvoir social et spirituel, avec une sensibilité artistique impressionnante.

Orchestrée par le sculpteur américain, Tom Joyce, artiste lauréat du Prix MacArthur, et les membres du comité scientifique, l’exposition Frapper le fer. L’art des forgerons africains déploie une diversité de formes et de traditions autour du fer dans différentes régions du territoire subsaharien. Elle dévoile l’invention de l’art du fer et l’histoire des évolutions techniques qui ont conduit les forgerons africains à le transformer.

L’âge du fer a marqué l’Afrique et transformé à jamais la civilisation, d’un point de vue pratique, symbolique et cosmologique. Le continent propose à lui seul un ensemble diversifié et sophistiqué d’outils et de formes en fer forgé. La production du forgeron et son rôle dans la vie des communautés sont encore indispensables de nos jours.

Près de 230 pièces réalisées entre le 17e siècle et l’époque contemporaine, allant de la sculpture à une myriade de formes de monnaies, instruments de musique, armes, objets de prestige, témoignent du talent et des prouesses techniques des forgerons d’Afrique, personnages autant vénérés que craints. Un ensemble unique d’oeuvres, de plus de quinze pays parmi lesquels le Mali, le Bénin, le Nigeria, ou la République démocratique du Congo, provenant de collections publiques et privées, est réuni au musée du quai Branly - Jacques Chirac pour l’une des présentations de l’art des forgerons africains les plus complètes jamais réalisées.

Après Nigeria. Arts de la vallée du Bénoué en 2012 et Secrets d’ivoire. L’art Lega d’Afrique centrale en 2013, l’exposition Frapper le fer. L’art des forgerons africains est la 3e exposition présentée au musée du quai Branly - Jacques Chirac en collaboration avec le Fowler Museum at UCLA.






Parcours de l’exposition

Frapper le fer. L’art des forgerons africains présente la puissance et la subtilité de l’une des traditions de fer forgé les plus sophistiquées au monde et rappelle la présence essentielle du fer dans l’univers. Les techniques de fonte et de forgeage du fer présentent d’emblée une innovation et une sophistication hors du commun quand elles font leur apparition sur le continent africain, il y a environ 2 500 ans. Les forgerons africains transforment le minerai de fer, l’une des matières premières de la planète, en objets utilitaires, d’émancipation, de prestige, de pouvoir rituel et d’expressivité artistique. La capacité de créer en travaillant le fer est souvent considérée comme un don divin, et ceux qui en sont pourvus sont à la fois vénérés et craints pour leurs formidables facultés. Le parcours, réparti selon sept parties, met l’accent sur le talent artistique des forgerons de l’Afrique subsaharienne et présente des objets réalisés entre le 17e siècle et l’époque contemporaine. En tant que matériau, le fer était garant de la puissance des actes sacrés en accompagnant les défis et les étapes de la vie. Les sons produits par les instruments de musique en fer sont encore destinés à invoquer les ancêtres et les divinités. Aussi, sous les formes les plus diverses, les forgerons mettent en évidence l’efficacité et la signification du fer dans la vie de la communauté.


#La transformation matérielle du fer
La maîtrise des techniques de métallurgie en Afrique a transformé pour toujours les civilisations humaines. Le fer est l’une des ressources naturelles les plus abondantes du continent africain, mais aussi l’une des plus difficiles à transformer en métal utilisable. Pour pouvoir être forgé, le fer exploitable doit être extrait de riches dépôts par un procédé d’affinage métallurgique appelé fusion. La fusion sert à éliminer les impuretés d’une matrice rocheuse – le minerai de fer – en la soumettant à une chaleur intense (entre 1 150 et 1 260 °C). Les particules de fer, à demi fondues dans le fourneau, fusionnent pour former une pâte spongieuse et malléable que l’on appelle la « gueuse ». Une fois chauffé à blanc, le fer peut ensuite être traité par le forgeron afin de lui donner une forme par la force de compression d’un marteau, avant de le travailler avec des poinçons, burins et autres outils. « Donner naissance » à des gueuses à partir du minerai de fer puis à des objets à partir de ces dernières est une métaphore « procréatrice » qu’utilisent volontiers de nombreuses populations africaines pour décrire ces deux processus de transformation. En Afrique, la métallurgie du fer est un ensemble de techniques maîtrisées par les hommes qui doivent comporter des éléments féminins pour être couronnées de succès.


#Les origines du fer africain

Archéologie : l’invention du fer

L’histoire du monde est souvent perçue comme une suite d’« âges » : de l’âge de pierre à celui du fer en passant par l’âge du cuivre ou du bronze. Néanmoins, en Afrique subsaharienne, où les ancêtres de l’humanité commencent à fabriquer des outils en pierre, l’utilisation de ces instruments se poursuit à l’âge du fer. Les archéologues ont longtemps pensé que la connaissance de la métallurgie était arrivée en Afrique du Nord vers le premier millénaire avant notre ère pour se propager plus tard au sud, mais des recherches plus récentes font remonter plus loin l’avènement de la production de fer. La plupart des chercheurs contemporains estiment que les Africains ont commencé à transformer le fer extrait de minerais locaux il y a environ 2 500 ans, mais les détails restent controversés. Ces techniques ont-elles été inventées et développées dans une ou plusieurs régions subsahariennes ? Se sont-elles répandues avec les premières migrations et les premiers échanges commerciaux ? Quelle que soit la manière dont elle est apparue, la technologie métallurgique fut rapidement adoptée et adaptée. Le fer fut produit à grande échelle dans plusieurs sites anciens, tels que Kamilamba, en République démocratique du Congo, entre le 8e et le 10e siècle de notre ère, et Grand Zimbabwe, entre le 13e et le 14e siècle.

Fer et mythes d’origine
De nombreuses communautés africaines se servent des récits des origines pour révéler et expliquer les formidables innovations des forgerons. Les conceptions du monde prennent forme — souvent à travers les talents prodigieux des forgerons — pour devenir des objets de vénération et de prière, car la vie peut être précaire et la communication avec les ancêtres doit être maintenue. La création de gueuses et le forgeage d’objets en fer sont des actes merveilleux qui garantissent protection et prospérité, sauvent et prennent des vies. Les populations dogon et bamana du Mali relatent des récits de forgerons capables, à l’instar des dieux, de transformer la matière et les événements. Le rôle majeur des forgerons au sein de la société bamana repose sur leur excellente maîtrise des techniques de forgeage, leur connaissance des plantes médicinales et leur communication avec le monde surnaturel. Leur importance est soulignée dans les traditions orales, dont la célèbre épopée de Soundjata du 14e siècle, qui décrit la fondation de l’ancien empire du Mali (distinct de l’actuelle République du Mali). Les forgerons bamana dirigent la puissante société initiatique, le Kòmò, qui enseigne à ses membres comment mobiliser les énergies exceptionnelles appelées nyama à des fins personnelles, sociales et spirituelles. Le Kòmò implique obligatoirement trois puissances : les chefs forgerons, les objets de pouvoir (y compris les masques et autels) et les esprits de la nature. En effet, le Kòmò est une créature intimidante de la brousse, amenée dans les terres civilisées par les forgerons.


#De l’enclume vient la subsistance
Matériau de valeur et vecteur de changement, le fer a, pendant des siècles, aidé les Africains à se procurer de la nourriture, à chasser et à labourer le sol. Couteaux, houes, charrues, faucilles, machettes, haches et herminettes ont longtemps permis une gestion intelligente, efficace et épanouie de la vie domestique et des tâches agricoles. Ces outils comptent parmi les créations les plus prolifiques du forgeron et illustrent la métaphore de la subsistance qui surgit de l’enclume. En particulier, les houes pour la culture et les faucilles pour la récolte permettent aux populations africaines de survivre et de prospérer.


#Les pouvoirs du fer
En Afrique subsaharienne, le monde du vivant — les plantes, les animaux, les rivières, les humains, les mots, les gestes, la musique — possède un esprit. Ainsi, rien ne sépare arbitrairement les choses animées et inanimées ou les affaires sacrées et séculaires. Puisant dans la connaissance ancienne et les systèmes philosophiques de leur propre culture, cette vision du monde concorde avec les besoins locaux pendant des millénaires. Le fer fait figure de médium pour déclencher les pouvoirs des esprits. Le forgeron — qui maîtrise les processus de transformation du fer en outils agricoles, en armes et en parures — est souvent chargé de réaliser les objets destinés à invoquer et représenter les divinités et d’autres esprits surnaturels en agissant comme un médiateur. Il est mandaté pour mettre en valeur la capacité de l’humanité à survivre et prospérer.


#Les lames de pouvoir et de prestige
Sur le continent africain, les armes tranchantes – lances, épées, haches et couteaux – ont un usage défensif et guerrier. Les forgerons transforment aussi ces armes en emblèmes de pouvoir. À ce titre, les lames sont émoussées et privées d’un usage pratique ; leur équilibre aérodynamique diminue, leurs formes se développent, s’affinent et deviennent plus décoratives qu’exigé lors d’utilisations ordinaires. Ces pièces en fer exceptionnelles procurent un plaisir à qui les manipule et esthétisent le pouvoir pour véhiculer des idées majeures sur l’honneur, la prospérité, le prestige et la sophistication.


#Des lames de valeur
Fruit de la virtuosité des forgerons d’Afrique subsaharienne, la monnaie en fer est l’une des plus fascinantes de leurs réalisations. À l’époque précoloniale, elle prend souvent la forme de lames d’outils ou d’armes. En effet, le travail que les objets en fer permettent d’accomplir est si essentiel qu’ils sont valorisés et deviennent donc des moyens de paiement dans les échanges qui jalonnent l’existence : mariages, litiges, rançons pour libérer des hommes faits prisonniers au combat, achats de chevaux, d’esclaves et d’autres denrées précieuses. Les lames de houe servent de monnaie apportée en compensation matrimoniale dans de nombreuses sociétés africaines, qui associent l’abondance des récoltes à l’importance d’une femme au sein du foyer familial, notamment dans sa fonction reproductrice et son travail domestique. Des monnaies sont produites sur tout le continent africain souvent sous forme de barres et de lames de tailles variables, en lots plus ou moins importants selon la nature de l’échange. Certaines, de facture remarquable, sont de dimensions considérables (aussi grandes qu’une personne), leur valeur est proportionnelle à la quantité de fer utilisée et au savoir-faire des forgerons.


#Formes sonores
Les sons cadencés de la forge s’entendent bien au-delà du lieu de travail quand le marteau s’abat sur le fer chaud et que les soufflets se remplissent d’air. Cette « musique » imprègne la production de fer du début à la fin, et les tâches du forgeron sont souvent précédées de prières et de chansons. La musique provient aussi d’instruments en fer que l’on range dans la catégorie des idiophones. Le son produit est celui du fer - le coeur vibrant de ces instruments et leur matériau de base  -, frappé, pincé, raclé ou frotté, sans recourir à des cordes ou des membranes. Les idiophones en fer englobent les cloches, les racleurs et les hochets utilisés pour rythmer les pas de danse, sans oublier les « pianos à pouces » dont les clés de différentes tailles, quand elles sont frappées, donnent à la récitation de poèmes une dimension sonore. Les sons produits par le fer, en vertu des pouvoirs spirituels et surnaturels attribués au métal lui-même, sont parfois assimilés aux voix des ancêtres. Les instruments sont conservés dans les trésors des chefs et utilisés par les spécialistes des rituels que sont les devins à l’occasion d’événements marquant une transition sociale comme les initiations, les mariages et les enterrements. Ces instruments en fer ne font pas qu’agrémenter les soirées musicales ; ils permettent aussi de lier la forge à la population, aux ancêtres et aux divinités elles-mêmes.